Le Tour du Monde en 80 jours
“Dans cette comédie musicale, une dizaine d’artistes se pareront de somptueux costumes pensés pour faire voyager l’imaginaire des spectateurs à chaque pas des protagonistes.”
France Dimanche
Phileas Fogg
Phileas Fogg est l’archétype du gentleman anglais du 19eme siècle, mais si le visuel d’ensemble est très classique, chaque détail est remis au goût du jour. Une chemise avec un col à la Karl Lagerfeld pour donner un aspect guindé. Une coupe de veste avec une taille plus basse qu’à l’époque pour allonger la silhouette. Un gilet en moire très simple de face mais avec un revers composé de cartes d’expéditions et une montre en guise de martingale. Et enfin, parce que Phileas est ici un écrivain, une plume de calligraphie décore son chapeau et quatre vers, extraits de Auguries of innocence de William Blake (contemporain de Fogg), agrémentent le col de sa veste et illustrent l’état d’esprit de notre héros.
To see a world in a grain of sand And a heaven in a wild flower, Hold infinity in the palm of your hand And eternity in an hour.
Auguries of innocence W.Blake
Costumes Bi-faces Londres
A la demande du metteur en scène David Rozen, Marie-Caroline a imaginé un costume biface, mi-homme mi-femme. La dualité de ce costume est accentuée par le choix des couleurs avec une référence évidente au cinéma en noir et blanc. L’esthétique très graphique des costumes s’inscrit dans un univers onirique totalement hors de la réalité du spectacle. Le choix d’un tissu à pois, très 50s accentue le changement radical de temporalité.
Propulsés dans la première moitié du 20ème siècle dès le premier claquement de talon sur la scène, nous sommes embarqués le Hollywood de Fred Astaire. La face homme du costume rend d’ailleurs directement hommage au Magicien aux Claquettes tandis qu’on peut voir un clin d’œil à Ginger Rogers dans les courtes boucles des perruques, côté femme. La réalisation de ces costumes est un défi technique. Pour respecter au maximum l’anatomie des bifaces, un rembourrage est incrusté dans le bustier des danseurs hommes, comme pour les costumes des transformistes. Mais la difficulté réside principalement dans les différences de coupe et de tissu (rigide et droite côté homme / élastique et volumineuse côté femme) qui doivent s’équilibrer pour créer une séparation franche, précisément positionnée au milieu du corps.
Quick-Change
Flanagan
C’est certainement le costume qui a été le plus difficile à créer. D’un point de vue historique on s’attend à voir juste un gentleman en noir, style très basique et tout à fait adapté aux Clubs de l’époque. Pour faire ressortir le caractère calculateur et cynique du personnage j’ai accentué les angles du col, marqué les lignes par des passepoils de velours noir et travaillé le contraste des revers. Mais ce qui a été déterminant c’est la découverte, au hasard de mes recherches, d’un velours léger aux motifs presque psychédéliques. Ce tissu a tout de suite transformé le gentleman anglais un peu aigri en un Méphistophélès machiavélique et rongé par la haine.
Passepartout
Le costume du domestique à la fin du 19eme siècle est plutôt sobre dans l’esprit de Downton Abbey, mais cette image contraste avec la personnalité joyeuse de Jean Passepartout et correspond mieux à Mr Forster, le premier domestique de Fogg.
Ayant choisi de mettre Paris aux couleurs des impressionnistes, j’y ai accordé la couleur de la veste du sympathique français. Les rouages qui décorent le dos de la veste figurent l’engrenage dans lequel Passepartout est embarqué par son maître et sa course contre le temps. La forme de la veste, quant à elle, rappelle les origines de Passepartout, qui aurait « grandi dans un cirque en France ». Son pantalon à pont, typiquement utilisé par les travailleurs du 19eme siècle, reprend le code visuel des chapiteaux de cirque à rayures rouge et jaune.
1ère étape du voyage : Paris
Oublions un instant la vérité historique, puisque Paris était en plein siège de la guerre franco-allemande en 1870, pour plonger dans un Paris fantasmé : Paris capitale de la mode, Paris ville de l’Amour, Paris à la Belle-époque !
La capitale de la mode rayonne grâce à ses couturiers talentueux et prospère grâce aux grands magasins, dont Le Printemps qui ouvre ses portes en 1865. Les uniformes du personnel du Printemps, que l’on découvre dans le tableau parisien, sont directement inspirés par l’architecture du grand-magasin. Les badges des vendeurs s’inspirent de la façade du bâtiment, tandis que le tissu à motifs et la forme arrondie des sur-robes nous transporte jusqu’à sa rotonde en mosaïque.
En sortant parcourir les rues de Paris, nous croisons les ancêtres d’Yvette Horner, avec son accordéon et sa caractéristique crinière rousse, et du mime Marceau, avec son indémodable marinière. Les couleurs des vêtements se ternissent avec une patine grisâtre mais nous restons dans une dominante pastel typique du style impressionniste. Un peintre nous attend justement un peu plus loin. Les boutons de sa blouse sont des tubes de peinture de la Maison Lefranc, inventeur du bouchon à vis et libérateur des artistes ! Le conditionnement en tube de la peinture a permis aux artistes de sortir de leurs ateliers, ouvrant ainsi la voie au mouvement Impressionniste. Nous basculons dans l’étang aux nymphéas de Giverny pour en voir émerger une robe taillée dans la toile de Monet. Elle s’accorde au gilet et à la lavallière d’un amoureux dont Le Baiser nous rappelle celui de Doisneau à l’Hôtel de Ville de Paris.
Le French Cancan
Au début du XIXème siècle, la danse est une pratique populaire : les bals sont très fréquentés et particulièrement pendant la période du Carnaval. A Paris, le bal de l’Opéra a des airs de carnaval de Venise, mêlant la bonne société et les canailles de bas étage. Dans ce contexte, Philippe Musard, chef d’orchestre des bals de l’Opéra, introduit le « cancan », innovation totalement licencieuse qui montre des femmes portant de longues robes sous lesquelles apparaissent de légers jupons et des culottes fendues.
Parallèlement à cela, on appelle « cancan » la minute d’improvisation exécutée par les hommes au milieu du très codifié quadrille. Le « cavalier seul » s’impose peu à peu comme un espace d’improvisation théâtrale et chorégraphique, c’est la séquence du « chahut » ou « cancan ».
Associant la folie colorée du carnaval à la technique chorégraphique du « cavalier seul », les filles du peuple, pionnières d’une société en voie d’émancipation, s’emparent du cancan et l’édulcorent pour propager sa popularité. Le cancan transgresse les tabous en écartant les jambes et en soulevant les jupons. Il ridiculise l’église et l’armée en formant tantôt des figures comme la « cathédrale », au clocher composé de trois jambes qui se rejoignent au talon, tantôt le « port d’armes », exécuté en maintenant une jambe en l’air. Cependant le costume s’assagit, les culottes se ferment et les froufrous gagnent du terrain pour dévoiler une nouvelle jupe sous la jupe. Les danseuses comme Céleste Mogador, La Goulue ou Nini Patte en l’air, deviennent de véritables vedettes et leurs costumes affriolants font perdre la tête au Tout-Paris ébloui par cette explosion de souplesse et de couleurs.
Inspecteur Fix
Ce détective anglais, à l’obstination hors du commun, est un vrai passionné qui considère son travail comme « difficile, j’en conviens, et qui n’est plus du métier, mais de l’art ». Ce dévouement à son travail et à sa patrie, devait assurément transparaître dans son style vestimentaire. Aussi, Marie-Caroline a choisi le célèbre tartan Burberry (dit : Haymarket check) pour couper la tenue de l’inspecteur.
Burberry’s était à l’origine un tailleur britannique spécialiste de la confection de manteaux et d’imperméables masculins, qui créa sa marque en 1856. Elle s’est imposée au fil des années comme la représentation de l’élégance masculine et a même été honoré de la Reconnaissance Royale de la part de la reine Elisabeth II et du Prince Charles. Quelle que soit la situation, Fix ne se dépareille jamais de sa tenue complète, composée d’un manteau avec capeline à l’allure très « Sherlock Holmes », d’un ensemble gilet et pantalon, parcouru de rivets cuivrés pour donner un caractère presque steampunk aux détails et d’un casque colonial revisité avec du tartan pour créer un total look. L’ensemble incarne la Patrie et la domination de l’Empire colonial britannique, qui est le plus étendu du monde au XIXème siècle.
L’Inde
Le Sati est une coutume funéraire issue de la mythologie indoue. Originellement, Sati est une déesse, fille de Daksha et amoureuse de Shiva. Un différend oppose le père et l’amant, ce qui rend le mariage des deux amoureux impossible. Daksha organise ensuite une cérémonie du feu réunissant tous les dieux sauf Shiva. Pour laver l’affront fait à son âme sœur, Sati va s’immoler, déclenchant par la suite la fureur de Shiva. Sati renaîtra ensuite sous la forme de Pârvati, épouse de Shiva et incarnation du dévouement total de la femme à son époux.
Les costumes des danseurs du Sati sont inspirés de la mythologie hindoue. Des masques remplacent les têtes d’animaux des dieux tandis que leurs peaux bleue, verte ou violette sont figurés par des aplats de taffetas unis au niveau des manches. Le pantalon et la forme de la veste empruntent leur style aux costumes du théâtre traditionnel thaïlandais, le Khon.
Les danseuses quant à elles ont un style définitivement indou avec leurs jupes drapées à la façon des saris. Leurs turbans interpellent mais on peut imaginer qu’elles se sont rasé la tête pour faire offrande de leurs cheveux, comme il est de coutume de le faire en Inde. Si le Sati, en tant qu’incarnation du dévouement de la femme à son époux, parait être un mythe plein de bonté et d’abnégation, il en a découlé une tradition extrêmement violente. Au XIXème siècle l’Angleterre a promulgué des lois empêchant toutes les pressions exercées sur les femmes hindoues et prévenant l’usage criminel de drogues visant la crémation des épouses. Mais la tradition persista en réaction à l’ingérence Britannique ; le cas de la Princesse Aouda est donc tout à fait plausible. Sa tenue blanche, couleur du deuil en Inde, contraste avec la palette éclatante des danseurs. Son collier de têtes de mort, tout droit sortie de l’imaginaire d’Indiana Jones et le Temple Maudit, amène un détail inquiétant et même sanglant avec ses fleurs rouges qui s’épanouissent comme des taches de sang.
Princesse Aouda
La tenue de cette princesse indienne à l’éducation anglaise incarne un lien entre Orient et Occident. La robe est composée de 3 saris, soit 18 mètres de soie pure, non pas drapés à l’indienne mais cousus à la mode occidentale du 19ème siècle.
La tournure (ou « faux-cul ») soutient l’ampleur de la jupe et souligne la finesse de la taille, encore accentuée par un serre-taille de cuir. Le choix de ce matériau contraste avec la délicatesse de la soie indienne et donne à l’ensemble un aspect steampunk, qui se révèle encore dans les engrenages incrustés dans le cuir et ceux ornant les bottines et le chapeau.
La Chine
Apparues en Chine vers 1830, les fumeries d’opium se sont popularisées tout au long du XIXème siècle. L’opium vient d’une substance appelée latex, extraite du pavot par incision avant l’éclosion de la fleur. Il donne, après préparation un produit de consommation psychotrope qui, suivant les doses, provoque une euphorie, une somnolence mais surtout un état hypnotique et onirique. Il existait plusieurs types de fumeries d’opium en fonction des moyens des clients.
Dans le Tour du Monde en 80 jours nous découvrons une opiumerie de premier ordre, comme en atteste la qualité des vêtements des clients et surtout ceux de la serveuse. L’ensemble de ce personnage est composé d’une robe dite qipao en satin rouge et d’un hanfu noir décoré de volutes de fumée. Le hanfu est l’ancêtre du kimono japonais. D’abord réservé à la famille impériale chinoise, il s’est petit à petit popularisé, mais reste un vêtement de cérémonie puisqu’il est traditionnellement cousu dans de la soie de grande qualité. Une large ceinture et une coiffe digne des femmes de la bourgeoisie terminent la tenue et assure un dépaysement total aux clients occidentaux.
Capitaine Speedy
Le costume de Speedy est un hommage direct à Jules Verne, que l’on considère comme un précurseur du mouvement Steampunk. Ce courant littéraire du XXème siècle, à l’esthétique très marquée, a façonné une véritable mode vestimentaire dont ce costume utilise les codes. Si le long manteau de Speedy nous rappelle les cache-poussières des westerns, la coupe ajustée et le gilet assorti sont définitivement très victoriens et typiquement steampunk.
Par ailleurs, le choix des couleurs et des matières renvoie à la première révolution industrielle, dans une ambiance cuivrée d’industrialisation empreinte de mécanique et de rouages. Enfin, le travail de patine fait apparaître des traces de rouille, de sel et de vapeur (steam en anglais) pour parfaire l’image du Capitaine du steamer l’Henrietta (bateau à vapeur).
Les Etats-Unis
Le Drapeau américain est également connu sous le nom «Stars and Stripes», littéralement «étoiles et bandes». Ce code visuel ainsi que les couleurs du drapeau se retrouvent dans chaque costume de la parade américaine. Le Maire de San Francisco est la figure historique du groupe. La coupe de la veste et sa double boutonnière sont inspirées par les uniformes de l’Etat Major de l’armée de l’Union, durant la Guerre de Sécession. Quand au chapeau haut de forme très haut c’est assurément la marque du Président Lincoln.
Les costumes des danseurs sont plus tardifs et empruntent leur style à l’oncle Sam, célèbre personnification des Etats-Unis. Des éléments de la tenue de l’oncle Sam se retrouvent sur chacun des danseurs : pantalon rayé rouge et blanc, queue de pie bleu, nœud papillon rouge et haut-de-forme démesuré aux couleurs de la bannière étoilée. Les danseuses quant à elles s’inspirent de l’imagerie populaire et des comics de super-héroïnes au style saturé et sexy. Le but dans ce tableau n’est pas de présenter une image historique mais plutôt une vision forte qui incarne l’Amérique dans l’imaginaire collectif.
Miss Morris
Si elle ne figure pas dans le roman de Jules Verne, Miss Morris a une place majeure dans la comédie musicale. On peux voir en elle une version comique de sa contemporaine Irène Adler, personnage fictif de l’univers de Sherlock Holmes écrit par Sir Arthur Conan Doyle. Elles mènent la police par le bout du nez et se déguisent toutes les deux en homme, chose osée pour le 19eme siècle.
Les costumes d’Irène dans le film Sherlock Holmes Game of Shadows ont beaucoup inspiré le look de Morris, leur empruntant la sobriété des lignes et le choix d’une couleur dominante sombre. Mais le violet est illuminé par un pimpant écossais rose qui fait davantage référence à « l’insubmersible Molly Brown » du Titanic de James Cameron. On voit tout à fait Miss Morris comme l’une de ces « nouveaux riches » extravagants, démonstratifs et à la limite du bon goût.
Reine Victoria
Reine de Grande-Bretagne, d’Irlande, du Canada, d’Australie et impératrice des Indes, Victoria figure l’apogée de l’Empire Britannique. L’ancienne mappemonde qui habille Victoria marque la domination britannique mais aussi et surtout son goût des voyages et des découvertes. Long de 63 ans, le règne de Victoria est également connu sous le nom d’époque victorienne, et désigne une période d’évolution au sens large, tant en matière d’industrie, que d’art ou de politique. Ces différents domaines vont chacun participer aux transformations de la mode féminine.
En 1856 un ingénieur américain invente la crinoline « cage », qui va révolutionner la mode dans le monde entier. Formée de cerceaux en lames d’acier flexible, reliés par des bandes de tissu attachées à la ceinture, la crinoline cage est beaucoup plus légère que la crinoline classique, sur laquelle se superposaient de nombreux jupons. Par ailleurs la légèreté du matériau permet d’étendre le volume, créant des jupes démesurées. Au cours de l’ère victorienne et en écho aux différents mouvements pour les droits des femmes, les volumes des robes vont changer. Ils vont diminuer, se rapprocher du corps et projeter le volume en arrière avec des robes dites « à tournure ». On voit ici que notre reine Victoria transforme son encombrante crinoline en attachant le volume à l’arrière, pour libérer ses pieds et ainsi avoir une plus grande liberté de mouvement dans la danse.